Cette article porte sur un sujet d'une grande complexité dont je me suis réellement aperçu qu'au moment de sa rédaction. Ainsi, sur la base de mes connaissances et de mes observations, je n'ai absolument pas été en mesure de rédiger un article sur ce sujet aussi abouti que je l'aurai souhaité. La première expérience qui m'a rapproché de ce sujet fut d'apprendre en Nouvelle-Zélande que les petits-blancs-blonds, d'aucune origine māorie certaine, pratiquaient le Haka dans leurs écoles. J'ai trouvé curieux d'observer autant ce phénomène au travers du monde actuel: des peuples et des cultures, autrefois opprimés, sont assimilés aux symboles identitaires d'une jeune nation qui connu une période de colonisation européenne. Si mon introduction cite en exemple la Nouvelle-Zélande c'est parce qu'elle fut la première étape de mon voyage mais cette observation s'est réitérée récemment, lors de mon voyage au Pérou et son héritage de la civilisation inca, me donnant l'envie d'écrire un article à ce propos.

Contrairement à ce que je pensais au début de mon voyage, les ancêtres Néo-zélandais de ne sont pas des exilés d'Europe comme cela a pu être le cas pour une partie des origines de la population australienne. La grande majorité des colons néo-zélandais était des familles désœuvrées, en quête d'une meilleure qualité de vie et espérant pouvoir posséder des terres. Ils ont répondu à une politique colonisatrice anglaise du XIXe siècle qui promettait un futur plein d'espoir sur les terres vierges de la Nouvelle-Zélande. Ainsi, les premières vagues importantes d'immigration en Nouvelle-Zélande ne commencèrent qu'en 1820. Avant cette époque, il y eu déjà de violentes confrontations entre les européens et les Māoris (Le premier débarquement européen en Nouvelle-Zélande date de 1642), peuple polynésien qui s'établit en Nouvelle-Zélande aux alentours du XIIIe siècle. On note des tensions diverses entre les colons européens et les tribus māories notamment avec l'augmentation des vagues de migration, la première source de conflit étant la possession de terres. En 1840, dans le but de calmer les tensions et d'établir une plus grande stabilité au sein du pays, des négociations permirent d'établir le fameux traité de Waitangi. Il est difficile de comprendre la raison pour laquelle il est si connu car il est le symbole d'une mésentente et d'erreur de traduction entre les représentants de la couronne britannique et les chefs de la Confédération des Tribus unies de Nouvelle-Zélande. Par la suite, les tensions ne vont que s’aggraver pour déboucher sur une guerre néo-zélandaise. Le grand perdant de cette guerre est le peuple māori qui perd à la fois une très grande partie de sa population mais aussi de nombreuses terres qui seront vendues aux nouveaux colons. La culture māorie fut opprimée à tous les niveaux: les rites religieux furent proscrits, la langue fut interdite notamment dans les écoles et la société occidentale de l'époque s'est imposée dans les grandes largeurs sur le territoire néo-zélandais. Des missionnaires chrétiens menèrent également une campagne d'évangélisation des tribus māories dès le début du XIXe siècle, mettant fin de facto aux rites locaux.

Aujourd'hui, la place de la culture māorie dans la société néo-zélandaise est paradoxalement très différente. La jeune nation d'à peine deux cents ans s'appuie sur la diversité de sa population et son histoire afin d'affirmer son identité nationale. D'une part, de nombreux musées font l'apologie de la culture māorie et dans l'ensemble du pays, de nombreux signaux sont en anglais et en māori. Il existe désormais des tours touristiques au travers desquels il nous est possible de découvrir tous les éléments de cette culture que les Māoris ont su préserver. D'autre part, il existe des communautés fortes qui parlent la langue māorie et se rapprochent du mode de vie māori et de ses anciennes coutumes.

Une partie des personnes que j'ai pu rencontrer lors de mon voyage juge ce changement d'attitude hypocrite: cette apologie d'une culture disparue une fois que l'ensemble du pays s'est parfaitement occidentalisé sans que nous puissions vraiment savoir ce qu'aurait pu devenir cette même culture sans une violente intervention extérieure. Cependant, l'histoire européenne comprend également ces chocs de civilisation à des époques antérieures. L'empire romain est un bon exemple d'oppression du mode de vie et de cultures différentes des siennes. Déjà à cette époque, il fut regrettable que celui-ci se soit imposé comme le peuple portant les valeurs du monde civilisé face aux "barbares", autrement dit les peuples extérieurs. Les archéologues ont découvert tout un ensemble d'éléments caractérisants leur civilisation: mode vie, rites religieux, architecture et techniques de construction, artisanat développé, organisation sociale particulière, religions, célébrations et arts.

Nous pourrions émettre deux hypothèses importantes qui pourraient différencier les chocs de civilisation de la jeune Europe aux plus récents: les rapports de force entre les différentes civilisations étaient parfois plus équilibrés et les différences culturelles étaient moindres, ce qui permit l'intégration d'une culture par une autre ou des fusions culturelles entre deux civilisations. 

En prenant appui sur ces hypothèses, nous pourrions émettre des regrets sur le passé colonialiste européen qui commença à la fin du XVe siècle, notamment celui d'Amérique du Sud. Des conquêtes dont les impacts ont été aggravés par les visions expansionnistes de la puissante église catholique. Cette colonisation avait donc une portée militaire, économique et idéologique.

Pour l'église, Il s'agissait avant tout d’évangéliser toutes les "brebis égarées" du monde connu, qu'elles le veuillent ou non. Il y eu de très nombreuses missions évangéliques afin d'étendre l'influence du catholicisme au travers des nouveaux continents. Dans le cadre de la conquête espagnole sud américaine, l'évangélisation de la population était appuyée par les forces miliaires de l'empire espagnol qui détruisirent systématiquement tous les monuments qui constituaient des lieux de rassemblement afin de pratiquer des rites religieux. Ces destructions systématiques combinées aux efforts des missions évangéliques ont changé radicalement l'Amérique du Sud. Il est désormais le continent où l'expression de la religion catholique est la plus forte. Mes observations en Colombie, en Equateur et au Pérou m'ont donné l'impression qu'une majorité de la population est pratiquante, notamment dans les milieux ruraux. Il y a des églises dans chaque ville et dans chaque commune. 

Pour ma part, il fut troublant d'observer autant de contradictions entre les traditions indigènes et la religion catholique. Il est intéressant de comprendre certaines astuces des missionnaires qui avaient probablement pour objectif la conciliation des croyances locales à celles de la religion catholique. Un bon exemple est celui de l'adoration de la vierge Marie au sein de nombreuses communautés pratiquantes d'Amérique du Sud. D'après ma compréhension, si la vierge Marie est autant vénérée, c'est parce-qu'elle fut la déclinaison de la Pachamama, terme Quechua (langue originaire des Incas) qui signifie la Terre-Mère, autrement dit la divinité représentant la fécondité et la fertilité. L'autre aspect perturbant qui fut l'objet d'une adaptation archaïque est la notion de dualité présente dans la quasi totalité des sociétés indigènes d'Amérique du Sud. Cette notion de dualité comprenait la notion philosophique essentielle suivante: de chaque décision et de chaque action peut se dégager des conséquences positives et négatives et la détermination du bien et du mal est complexe et relative. Hors dans la religion catholique, cette notion de dualité n'est pas aussi explicite, la vision du bien et du mal est beaucoup plus bipolaire. Enfin, la vénération du soleil et de la lune était tellement forte qu'il arrive de les trouver dans certaines représentations de scène religieuse. D'un point de vue purement catholique, c'est aberrant! Dans un soucis de flexibilité et d'évangélisation, les missionnaires avaient probablement concéder à certains artistes cette discrète représentation. Malheureusement, les efforts de conciliation n'ont pas été plus nombreux que cela. La majorité des objets des rites ancestraux ont été détruits. Tous les objets d'artisanat en bois, en pierre et autres métaux qui servaient à la pratique de rites religieux furent détruits ou recyclés pour fournir le patrimoine de l'église catholique. L'église de la compagnie de Jésus à Cuzco en est un bon exemple. Nous pouvons y observer une importante présence d'or qui appartenait autrefois au peuple inca.

J'ai été très surpris d'apprendre l'âge de la civilisation inca, je pensais que son origine était beaucoup plus ancienne. Les historiens considèrent ses origines aux environs de 1100 après Jésus Christ. Au travers des musées et des ruines, j'appris que c'était une civilisation d'Amérique du Sud possédant une puissance militaire mais également une culture extrêmement élaborée à tous les niveaux: architecture, agriculture, élevage, commerce, science, militaire, art, artisanat, organisation sociale, mode de vie et religion.

En pleine apogée, la civilisation inca a subit de plein fouet l'élan conquérant espagnol. La mission idéologique de l'église catholique, la colonisation militaire et économique de l'empire espagnol et les maladies apportées d'Europe ont eu raison de la civilisation inca. La civilisation la plus puissante d'Amérique du Sud du XVIe siècle fut détruite en l'espace d'à peine deux cents ans.

N'importe quel touriste doué d'une certaine curiosité a la peine de ne pas savoir ce qu'aurait pu devenir la civilisation inca sans l'intervention des espagnols. La société occidentale de l'époque n'a pas donné de choix à ce peuple d'Amérique du Sud. Mais comme le cas de l'Europe, les Incas furent également des conquérants avant l'arrivée des espagnols. De nombreux musées et des sites archéologiques témoignent des peuples qui vécurent à la même époque des Incas avant d'être envahis. Ces peuples avaient cependant des cultures beaucoup plus proches des Incas que celles de l'occident, ce qui explique ce choc extrêmement violent entre la civilisation occidentale et celle d’Amérique latine.

Les découvertes archéologiques ont permis de retrouver un patrimoine extrêmement riche de cette civilisation disparue et fascinante et c'est l'un des premiers attraits touristiques du Pérou. Le pays fait l'apologie du peuple inca et de cet héritage retrouvé. Pourtant, de mes observations, le Pérou est un pays qui s'occidentalise (notion qu'il ne faudrait pas confondre avec le modernisme). Autrement dit, le Pérou moderne tend à imiter la société occidentale et son héritage inca ne paraît qu'au travers de la langue Quechua qui n'est parlée que dans certaines régions (dont l'usage se perd de génération en génération), les ruines et le métissage de sa population. 

A mon sens, intégrer l'héritage du peuple inca à l'identité nationale péruvienne avec aussi peu de manifestation de ses valeurs, c'est le dénaturer car la civilisation inca n'avait rien à voir avec l'occident catholique. Dans le même temps, il m'est difficile d'être aussi intransigeant sur la question, notamment vis à vis du Pérou, tant son histoire est violente et complexe. Cette critique est toute relative car le pays ne fait que prendre appui sur ses origines et son histoire afin de marquer davantage son identité nationale, ce que font également les pays européens.

L'une des aberrations les plus marquantes dans le tourisme moderne est et la commercialisation des cultures indigènes. Celle-ci s'observe dans presque tous les pays. C'est la forme la plus profonde de dénaturation de l'héritage des ces cultures. L'aspect spirituel n'est absolument plus respecté et la visite des touristes sur certains sites donnent lieu à de véritables abus où les bénéficiaires ne semblent absolument pas s'être imprégnés de la culture qu'ils mettent à profit. C'est l'expérience touristique la plus révoltante qui va parfois jusqu'à vous dégoûter.

L'identité nationale est une notion très relative au contexte historique et territorial qu'on souhaite lui associé. Il s'agit d'en comprendre toutes les nuances. C'est un sujet bien vaste qui mériterait un dossier d'étude, notamment durant cette triste époque où un parti comme le front national obtient 40% des suffrages lors du deuxième tours des élections présidentielles françaises. Le nationalisme se situe exactement à l'inverse de cette vision relative et pondérée, et pourtant il séduit toujours. Mon long voyage me permet de définir plus précisément les questions et les domaines sur lesquelles je me sens citoyen du monde, celles sur lesquelles je me sens davantage un citoyen européen et enfin, les caractéristiques qui me rattachent à mes origines françaises.